Le premier président de la Cour Suprême tranche le débat sur l'exécution des décisions de justice

 

Dans le cadre de ses journées de formation le barreau de Pointe‑Noire a invité le Premier Président de la cour suprême du Congo à venir trancher le débat sur le contentieux de l’exécution provisoire qui agite le ressort depuis quelque temps.

Monsieur Henri BOUKA, Premier président de la cour suprême du Congo, accompagné d’une forte délégation a échangé, ce samedi 27 juillet 2019 avec l’ensemble des acteurs judiciaires du ressort de la cour d’appel de Pointe Noire sur la question de l’exécution des décisions de justice.

En prélude à l’intervention de Monsieur Premier Président Me Guy Léonard PAMBO a rappelé le cadre légal de l’exécution provisoire prévue par les dispositions des articles 58 et 59 du CPCCAF.

Il a relevé à ce titre, d’une part, l’exécution provisoire qui s’impose au juge dans les hypothèses limitatives prévues par l’article 58, et d’autre part, l’exécution provisoire qui relève de l’appréciation du juge, prévue à l’article 59 pour les cas autres que ceux prévus par l’article 58, notamment en cas d’urgence ou d’extrême urgence, pour lesquels il peut accorder l’exécution provisoire, avec ou sans caution.

Monsieur Emmanuel KITOKO‑NGOMA, Président de la Chambre sociale de la Cour d’appel, est intervenu ensuite pour préciser la procédure de défense à exécution devant la cour d ‘appel de Pointe‑Noire.  

Après avoir insisté sur le caractère contradictoire de cette procédure caractérisée par sa célérité, il a rappelé que c’est après un vif débat tranché par son assemblée générale que la Cour d’appel de Pointe‑Noire avait retenu que d’une part, la procédure consécutive au dépôt de la requête spéciale est contradictoire, et que d’autre part, le dépôt de ladite requête ne suspend pas le cours de l’exécution entreprise sur la base de la décision déférée.

C’est en s’appuyant sur le principe du contradictoire prévu par les dispositions de l’article 25 du CPCCAF, que la Cour d’appel de Pointe‑Noire avait opté, a‑t-il rappelé, pour une procédure contradictoire, avec des délais abrégés à un seul renvoi pour la partie bénéficiaire de la décision exécutoire.

Sur la question du caractère suspensif ou non du dépôt de la requête, la Cour d’appel s’appuyant cette fois‑ci sur les dispositions des article 85 et 86 du CPCCAF a retenu que le dépôt de la requête ne suspend pas l’exécution.

En revanche, lorsque la cour d’appel à l’issue du bref débat contradictoire, ordonne la suspension de l’exécution, cette décision a pour effet d’une part, d’anéantir l’exécution provisoire et de restaurer le caractère suspensif de l’appel, et d’autre part, de maintenir le statu quo entre les parties jusqu’au ‘au prononcé de l’arrêt de la cour d’appel sur le fond.

C’est dans ces conditions, spécialement en raison de la persistance de la controverse, que Madame le Bâtonnier du Barreau de Pointe‑Noire a invité Monsieur le Premier Président à fixer la communauté judiciaire du ressort sur la position de la Cour suprême sur la question de l’exécution forcée en droit interne.

Monsieur le Premier président de la cour suprême qui était accompagné d’une forte délégation de ladite cour, pour marquer le caractère solennel de sa communication, a tranché les controverses dans un langage simple et pédagogique qui ne devrait laisser plus subsister aucune ambiguïté sur la question de la question de l’exécution des décisions de justice en droit interne.

On peut retenir 3 questions sur lesquels le Premier Président s’est prononcé pour clore le débat.

1.- Première question : la procédure de demande d’arrêt de l’exécution provisoire est‑elle une procédure contradictoire ou gracieuse ?

En effet les termes de l’article 86 du CPCCAF en vertu desquelles « l’appelant peut, par requête spéciale, présenter des défenses à exécution provisoire et la juridiction d'appel statue immédiatement sur cette requête» avait laissé penser, au regard de la simultanéité entre le dépôt de la requête et la décision de la Cour qui intervient « immédiatement », qu’il s’agissait d’une procédure gracieuse dans laquelle, la Cour d’appel se borne à vérifier si les conditions d’octroi de la mesure d’exécution forcée prévues  aux articles 58 et 59 du CPCCAF ont été respectée par les premiers juges, sans qu’il ne soit besoin que l’intimé soit appelé en la cause pour opiner.

Sur ce point Monsieur le Premier Président, confortant en cela la position de la Cour d’appel de Pointe‑Noire a indiqué qu’il s’agit d’une procédure contradictoire et qu’il ne peut être autrement. Il a rappelé que le droit processuel congolais est gouverné par 3 grands principes : le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, le principe du double degré de juridiction et le principe du contradictoire rappelé notamment à l’article 25 du CPCCAF.

A la lumière de ce dernier principe, la procédure de défense à exécution doit nécessairement impliquer le bénéficiaire de la décision dont on veut anéantir devant la cour le caractère exécutoire.

Toutefois a‑t-il indiqué, il s’agit d’une procédure urgente assimilable à un référé d’heure à heure pour lequel la Présidente de la Cour d’appel à la latitude d’impartir à l’intimé un bref délai pour conclure, délai qui peut être de 24 heures voire même de quelques heures seulement.  

2.- Le dépôt de la requête aux fins de défense à exécution suspend il l’exécution jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel ?

Le premier Président a rappelé que la question du sort de l’exécution pendant la procédure en défense à exécution devant la Cour n’était pas anodine, loin s’en faut. Pour preuve, historiquement, a‑t-il rappelé, depuis 1986, pas moins de trois circulaires des Présidents et procureurs généraux de la Cour suprême avaient été consacrées à cette question, de sorte que c’est un sujet qu’il faut aborder avec beaucoup de circonspection.

Et sur ce point Monsieur le Premier Président a invité l’auditoire à appliquer les textes dès lors qu’ils sont clairs et n’appelle par principe aucune interprétation. L’article 85 dispose que « Hors le cas où l’exécution Provisoire a été légalement ordonné, aucun jugement ne peut être mis à exécution en cas d’appel. Il en est de même pendant le délai d’appel.

C’est le principe du caractère suspensif de l’appel.

L’article 86 du même code dispose que « l’appelant peut, par requête spéciale, présenter des défenses à exécution provisoire. La juridiction d’appel statue immédiatement ».

Autrement dit, la demande consiste à solliciter de la cour d’appel qu’elle paralyse le caractère exécutoire de la décision de première ordonnée par les premiers juges afin de rétablir l’effet suspensif de l’appel.

La cour d’appel saisie d’une telle demande de suspension de l’exécution n’a pas à examiner la question de la recevabilité de l’appel mais uniquement celle relative à l’exécution provisoire. L’office du juge ici à s’assurer de la conformité de la décision aux articles 58 et 59 du CPCCAF qui déterminent les conditions d’octroi de l’exécution provisoire.

Et, naturellement, aussi longtemps que l’exécution provisoire n’a pas été suspendue par un arrêt de la Cour d’appel, le jugement conserve son caractère exécutoire et l’exécution se poursuit normalement aux risques et périls du débiteur.

3.- Le dépôt d’un pourvoi assorti d’une requête aux fins de sursis à statuer suspend elle l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel ?

Sur ce point, Monsieur le premier président a dénoncé la systématisation des requêtes en sursis à exécution précisément fondée sur l’idée que cette procédure aurait pour effet de différer l’exécution.
Ainsi a‑t-il rappelé, sur 2000 pourvois pendants devant la cour suprême, 1950 d’entre eux sont assorti de requête en sursis à exécution, ce qui mécaniquement double le volume des dossiers à traiter entre le fond et les demandes de sursis à exécution et impacte sur célérité des procédures.

Face à cet afflux la cour suprême a décidé, dans un souci de rationalisation du traitement des dossiers de joindre systématiquement ces requêtes à l’examen du fond du pourvoi.

Sur le fond il rappelle qu’en droit congolais la décision de la Cour d’appel est rendu en dernier ressort de sorte qu’elle marque la fin du procès.

Sa décision est immédiatement exécutoire nonobstant pourvoi et ce par la volonté expresse du législateur qui rappelle dans l’article 112 que le pourvoi en cassation n’est suspensif qu’en certaines matières limitativement énumérées.

L’article 113 du CPCCAF siège de la demande de sursis à exécution dispose que « Toutefois, la cour saisie à ces fins par simple requête du demandeur, peut, avant de statuer sur le pourvoi, ordonner qu’il sera sursis à l’exécution de l’arrêt ou du jugement attaqué lorsque cette exécution est susceptible d’entraîner un préjudice irréparable ».

La combinaison de ces deux textes ne laisse la place à aucune interprétation. Pour arrêter l’exécution d’un arrêt d’une cour d’appel, il faut une décision de la Cour suprême ordonnant qu’il en soit ainsi. Dès lors, aussi longtemps que la Cour suprême ne l’aura pas ordonnée, l’exécution se poursuit aux risques et péril du débiteur.

Et, une cour suprême sérieuse ne peut pas s’appliquer à paralyser les décisions des cours d’appel au risque de se voir transformer en 3ème degré de juridiction.

La cour suprême doit demeurer une juridiction de contrôle garant de la bonne exécution de la règle de droit et ne point s’abaisser à se substituer aux juges du fond par l’examen systématique des conditions d’exécution des décisions exécutoires rendues en dernier ressort.

La cour suprême doit se concentrer sur ses missions normative et régulatrice de contrôle de la légalité des décisions rendues par les juges du fond.

Le premier Président a d’ailleurs rappelé que, le droit français duquel nous tirons notre filiation juridique, a introduit dans son code de procédure civile une disposition (article 1009‑1 du Code de procédure civile) qui subordonne l’instruction du pourvoi à l’exécution de la décision frappée de pourvoi. Il n’est plus envisageable en France, depuis le décret du 6 novembre 2014, d’utiliser le pourvoi en cassation comme moyen dilatoire pour éluder ou différer le paiement ses condamnations judiciaires.

Les codes dont la réforme est en cours d’examen devraient prévoir de telles dispositions.

Toutefois, si l’orthodoxie juridique commande la poursuite de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel en raison de son caractère exécutoire, l’équité incline à l’examen effectif des demandes de sursis à exécution par la cour suprême, qui selon Monsieur le Premier Président serait disposé à examiner ces demandes avec célérité pour peu que les avocats fassent diligence.

Peut‑être serait‑il plus efficace sur le plan de la forme que ces avis professés dans le cadre d’une communication soient consacrés par des délibérations de l’assemblée intérieure de la Cour suprême pour leur donner une forme officielle, comme ce fut le cas en son temps  pour les pourvois en cassation.

 

Autres sujets qui pourraient vous intéresser