Histoire de l'avocature en République du Congo : de la soumission à l'indépendance

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INTRODUCTION

L’histoire de la profession d’avocat au Congo se confond avec celle de la pénétration coloniale. En effet, progressivement, la France a accompagné son implantation dans les territoires conquis par la mise en place d’une organisation administrative destinée à gérer ses intérêts économiques et politiques. Pour assurer l’autorité de cette administration coloniale, il a été mis en place corrélativement une organisation judiciaire destinée à assurer par la violence légale la réalisation des buts poursuivis par la colonisation.

On pouvait distinguer à cette époque, en Afrique Équatoriale Française, un double système judiciaire. La justice française ordinaire de droit commun pour les citoyens français d’une part[1], et la justice indigène, pour les ressortissants de l’Afrique Équatoriale Française et des possessions françaises d’autre part.

Étaient justiciables des juridictions indigènes, réglementées par le décret du 30 juin 1934 portant réorganisation de la justice indigène et du code de l’indigénat « Les ressortissants des possessions françaises et des territoires de l’Afrique Équatoriale Française n’ayant pas la qualité de citoyen français et les ressortissants du territoire sous mandat (…) ».

Il faut dire que l’interprétation de ce texte était à « géométrie raciale », comme en témoigne le procès d’André Grenard Matousa qui, bien que citoyen français justiciable des juridictions de droit commun, fut condamné le 3 avril 1930 à 3 ans d’emprisonnement et 5 ans d’interdiction de séjour par le Tribunal indigène de 2ème degré de Brazzaville, alors qu’il avait vainement soulevé l’exception d’incompétence des juridictions indigènes à le juger en sa qualité. 

L’intervention des avocats n'était pas prévue dans le cadre de la justice indigène[2] qui était une justice spéciale, relevant de l’autorité disciplinaire de l’administration coloniale, qui avait pour finalité non pas la régulation des rapports sociaux mais plutôt le contrôle des velléités de révolte des populations autochtones. Les avocats n’y étaient admis que devant la chambre d’homologation qui faisait office de juridiction de cassation.

En revanche, on a pu identifier dès 1905, l’apparition d’un premier défenseur devant les juridictions de l’Afrique Équatoriale Française. Il s’agissait de Monsieur Barreau (ça ne s’invente pas) administrateur des colonies qui assurait la défense de Messieurs Gaud et Toqué poursuivis pour meurtres de plusieurs indigènes dans le Haut‑Chari[3]

Le 14 juillet 1903, deux administrateurs coloniaux en poste au Congo, passablement éméchés avaient décidés de célébrer la fête nationale par un feu d’artifice d’un genre particulier. Ils avaient fait sauter un jeune noir nommé Pakpa, en lui introduisant une cartouche de dynamite dans le rectum, l’autre suspendue à son cou leur paraissant d'une efficacité insuffisante... 

Le même groupe, encore en état d'ébriété, s'était amusé à décapiter un noir, à faire bouillir sa tête et à faire boire le bouillon à ses amis et même aux membres de sa famille. Devant l’ampleur du scandale dans l’opinion publique, l’administration coloniale n’avait eu d’autre choix que d’ouvrir un procès devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de l’Afrique équatoriale française à Brazzaville. Le procès s’est tenu le courant août 1905 et a occupé 5 audiences au cours desquelles les accusés étaient défendus par Monsieur Barreau, administrateur colonial en poste à Brazzaville. 

C’est le premier procès documenté mentionnant la présence d’un défenseur devant la Cour d’appel de l’AEF, sur le modèle ce qui se faisait déjà en AOF, puisque le corps des avocats défenseurs ne sera institué qu’en décembre 1905 en AOF avant d’être étendu en AEF 1933. Maître Barreau peut donc être historiquement considéré comme le premier avocat ayant officié devant les juridictions de l’AEF. 
 

 Toutefois, à la différence de l’Afrique occidentale Française, l’institution de la profession d’avocat à proprement parler a été tardive en Afrique Équatoriale Française.

En Afrique Occidentale Française, les avocats ont d’abord été désignés par les termes de conseils commissionnés (arrêté du 4 décembre 1847) et de défenseurs (arrêté du 6 août 1901). 

Les deux statuts ont été fusionnés en un seul corps des avocats‑défenseurs par l’arrêté du 26 décembre 1905. Cette profession harmonisée sera transposée en AEF par l’arrêté du 8 août 1933[4].

I.- L'arrêté du 08 août 1933 et la création du corps des avocats défenseurs en Afrique Équatoriale Française

L’arrêté du 08 août 1933 créé pour la première fois auprès de la Cour d’appel de l’AEF un corps d’officiers ministériels dénommé avocats‑défenseurs[5].

1.- Missions : Les avocats‑défenseurs étaient des « officiers ministériels qui étaient seuls chargés de conclure pour les parties en matière civile et de faire en général, tout acte réservé au ministère des avoués par le code de procédure civile, dans la mesure où ces dispositions de ce code étaient appliquées par la réglementation locale. Ils avaient en outre le droit de plaider devant toutes les juridictions françaises de l’Afrique Équatoriale Française ».

2.- Inscription au tableau : Seuls pouvaient exercer comme avocat‑défenseur et être inscrit en cette qualité au tableau dressé à cet effet par la cour d’appel les citoyens titulaires de la licence en droit jouissant de leurs droits civils et politiques. Les candidats à ces fonctions devaient, en outre, justifier avoir suivi le barreau pendant deux ans au moins, ou avoir effectué au moins trois années de cléricature dans une étude d’avocat ou d’avoué.

Étaient dispensés de ces conditions, les anciens magistrats ayant appartenu à des juridictions métropolitaines ou coloniales.

Toutefois, aucun magistrat ayant exercé dans l’une des colonies du groupe ne pouvait être nommé avocat‑défenseur dans le ressort de la cour d’appel de l’AEF avant l’expiration d’un délai de cinq (5) ans à compter du jour de la cessation de ses fonctions dans ce ressort.

La demande d’admission aux fonctions d’avocat‑défenseur était adressée au Procureur Général, chef du service judiciaire qui après enquête et avis de la cour d’appel transmettait le dossier avec ses propositions au gouverneur général procédait à la nomination en qualité d'avocats‑défenseurs. Les avocats‑défenseurs ne pouvaient exercer aucune profession salariée, ni être commerçant.

Ils étaient nommés par le Procureur Général, chef du Service judiciaire et prêtaient serment suivant « Je jure de ne rien dire ou publier, comme défenseur au conseil, de contraire aux lois, au règlement, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique, et de ne jamais m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques ».

Il était en outre tenu au parquet de la cour d’appel un registre des inscriptions des secrétaires des avocats‑défenseurs. Ces secrétaires remplaçaient l’avocat‑défenseur empêché aux différentes audiences. Ils sont placés, au point de vue disciplinaire, sous l’autorité du chef du service judiciaire.

Aucune personne privée de ses droits civils et politiques ne pouvait être employée, à quelque titre que ce soit, dans les études d’avocat‑défenseur.

3. Rémunération : Les avocats‑défenseurs avaient droit, à titre de rémunération en matière civile et, pour l’établissement de tous actes de procédure prévue par la réglementation locale, dans les affaires qui leur sont confiées, aux émoluments fixés pour les avoués près le tribunal civil de première instance de la seine et de la cour d’appel de Paris. Ils étaient tenus, tant en demande qu’en défense de dresser, chacun pour sa partie un état de frais. Les débours, émoluments et droits alloués en vertu du présent arrêté feront partie de la liquidation des dépens qui sera opéré par les jugements et arrêts dans leur dispositif.

À cet effet, les parties ou leur défenseur devaient joindre aux pièces qu'ils remettaient au tribunal ou à la cour pour le délibéré l’état des frais, et émoluments et droit à eux dû, faute de quoi la liquidation était faite d’office par le tribunal ou par la cour.

Les avocats‑défenseurs pouvaient également demander la distraction des dépens à leur profit lorsqu’ils affirmaient en avoir fait l’avance.

En dehors des émoluments, les avocats‑défenseurs avaient droit, en toute matière, à des honoraires pour plaidoirie, mémoire, consultation, soins particuliers, des marchés travaux extraordinaires. Ces honoraires étaient librement débattus entre eux et leurs clients. Mais en matière répressive, il leur était interdit de demander aux accusés ou prévenus préalablement à l’arrêt, ou au jugement, des engagements ou garantie pour le paiement de leurs honoraires.

Les contestations sur le principe ou le chiffre des honoraires, étaient tranchées par les tribunaux selon les règles du droit commun.

Les avocats‑défenseurs tenaient une comptabilité. Leur livre journal et leur carnet à souche étaient cotés et paraphés par le Procureur général, chef du service judiciaire ou par son délégué. Ils devaient être présentés toutes les fois qu’ils en étaient requis par le procureur général.

4.- Discipline : Les avocats‑défenseurs relevaient pour leur discipline de l’autorité du Procureur général. Il pouvait prononcer à leur encontre, après les avoir entendus, le rappel à l’ordre, la censure avec réprimande et leur donner tout avertissement qu’il jugeait convenable. Il rendait compte au gouverneur général des peines qu’il avait prononcées. 

À l’égard des peines les plus graves telles que la suspension et la destitution, le Procureur général agissait d’office, ou sur plainte des parties. 

Après délibération du tribunal de la résidence, ou si celle‑ci était fixée à Brazzaville, la cour d’appel entendait l'avocat‑défenseur inculpé en ses moyens de défense, avant d'adresser les propositions qu’il jugeait nécessaire au gouverneur général. Celui‑ci statuait sur le rapport du Procureur Général.

Les décisions du Gouverneur général prononçant la destitution étaient susceptibles de recours devant le ministre des Colonies. L'Avocat visé était suspendu jusqu’à ce que le ministre des Colonies ait statué.

La suspension ne pouvait être prononcée que pour une période ne pouvant excéder une année.

Lorsque pendant les audiences, dans les écrits où dans ses paroles, l’avocat‑défenseur s’écartait du respect dû aux lois, les tribunaux pouvaient, soit d’office, soit à la réquisition du ministère public, prononcer contre ce dernier le rappel à l’ordre, la censure simple, la censure avec la réprimande ou la suspension pour un an ou plus. Les décisions des tribunaux étaient susceptibles d’appel devant la cour d’appel. Lorsque les tribunaux estimaient qu’il y avait lieu à l’application d’une peine plus grave, il était dressé procès‑verbal, lequel était, sans délai, transmis au chef du service judiciaire, qui décidait ou non d'y donner suite dans les conditions précitées.
 

5.- Distinction entre l’avocature coloniale et l’avocature métropolitaine. Comme on peut le constater, le statut de l’avocat‑défenseur dans les colonies était très différent de celui des avocats dans la métropole. En effet, le statut d'avocat‑défenseur dans les colonies était conforme aux buts poursuivis par la justice coloniale qui était l’assujettissement des populations autochtones à l’ordre public colonial. A ce titre, à la différence des avocats métropolitains qui étaient des professionnels libéraux et indépendants, les avocats‑défenseurs africains étaient des officiers ministériels qui concouraient au maintien de l’ordre public colonial. Ils tenaient leur charge de l’administration coloniale qui pouvait la leur retirer à tout moment. 

Il s’agissait donc d’une dépendance organique qui réduisait l'avocat‑défenseur au rang de supplétif de l’administration judiciaire coloniale. Les avocats métropolitains eux appartiennent à un ordre professionnel et exercent une profession libérale totalement indépendante.

Cette situation antinomique va s’avérer progressivement incompatible avec une défense véritable des intérêts des populations.

 II.- Du corps des avocats‑défenseurs à la profession d’avocat

1.- Le maintien du statut d’avocat‑défenseur par le Congo indépendant. Sous l’empire de l’Afrique Équatoriale Française, tous les avocats inscrits auprès de la cour d’appel de Brazzaville étaient des expatriés qui défendaient exclusivement les intérêts coloniaux. Ces avocats ne plaidaient pas devant les tribunaux indigènes[6].

Cette situation de dépendance organique a perduré postérieurement aux indépendances, sous l’empire de la République du Congo[7]. Sur la base de l’arrêté du 8 août 1933 précité, les avocats étaient désormais nommés par arrêté du ministre de la Justice.

Le premier avocat congolais nommé sous ce régime fut Maître Aloïse Moudileno Massengo, nommé par arrêté n° 156 du garde des sceaux François Luc Makosso du 13 janvier 1967[8].

Avant sa nomination au Congo comme avocat‑défenseur, Maître Moudileno Massengo avait été inscrit au Barreau de Nancy après avoir forcé la main au conseil de l'ordre de ladite ville. En effet, par décision du 20 janvier 1964, le conseil de l’ordre de Nancy avait rejeté son inscription, en dépit de la convention de réciprocité qui permettait pourtant aux avocats français de continuer à exercer normalement leur profession au Congo, et ce au motif qu’il ne remplissait pas la condition de nationalité, nécessaire pour accéder à la profession d’avocat en France.

Sur appel de Maître Moudileno Massengo, la cour d’appel de Nancy avait dans un arrêt du 4 mars 1964 censuré la décision du conseil de l’ordre de Nancy et ordonné son inscription au tableau de l’ordre des avocats de ladite ville[9].

Revenu au Congo, Maître Moudileno Massengo sera quelque temps après sa prestation de serment, nommé garde des sceaux ministre de la Justice et du travail[10]. A ce titre, il va par ordonnance 7/67 du 3 mars 1969 portant modification des dénominations du titre de certains auxiliaires de justice, procéder à une réforme purement symbolique en changeant le titre d’avocat‑défenseur qui deviendra avocat à la cour.

L’idée était de faire disparaître la filiation coloniale attachée à la dénomination « avocat‑défenseur ».Mais sur le fond, le statut des avocats à la cour demeurait identique à celui des avocats‑défenseurs, puisque leur gestion relevait toujours du Parquet Général. Cette situation anachronique et antinomique a très rapidement été dénoncée par les avocats.

2.- L’échec de la tentative de fonctionnarisation du barreau. Au cours des années quatre‑vingt, dans la logique de la rhétorique socialiste de l’époque le gouvernement, par l'intermédiaire de son ministre de la Justice de l’époque Dieudonné Kimbembé, envisagea de créer sur le modèle cubain, un corps d’avocats rattachés au ministère de la justice pour faciliter l’accès de la population au service du droit. Dans ce système, les avocats devaient être des fonctionnaires relevant du gouvernement. Ce projet provoqua une véritable fronde de la profession qui dans son ensemble s’opposa catégoriquement à ce projet jugé liberticide. Les avocats mobilisèrent leurs relais internes et internationaux pour faire échec à ce projet qui fut finalement retiré.

3.- Le long chemin de la soumission à l’indépendance. Les avocats de l’Afrique Centrale vont finir par relever que, en raison de leur statut, les avocats africains n’avaient aucune protection contre les autorités.

Ils étaient obligés de ce fait de faire preuve d’une sorte " d’auto‑censure" dans la mise en œuvre de la défense. Le plus souvent, les apparences faisaient penser qu’il y avait une liberté de l'avocat, alors qu’en réalité celle‑ci était très réduite et n’existait pour ainsi dire pas.

L’avocat dans les pays d’Afrique en général, et d’Afrique Centrale en particulier, ne savait jamais jusqu’où il pouvait aller dans la liberté de parole, spécialement en présence de notions telle que « le respect envers les Tribunaux ou le respect envers les autorités ».

La défense de rupture - dans un système où la liberté et l’indépendance : essences mêmes de la profession n’existaient pas – était d’une application délicate. Il ressortait en définitive de cet état de choses, une insécurité permanente, qui faisait obstacle à l’épanouissement d’une profession libérale et noble, garantie fondamentale indispensable à la défense des droits de l’homme et des peuples[11].

Cette situation était amplifiée par la nature des régimes en place qui, quelle que soit leur orientation idéologique, revêtaient un caractère autoritaire qui se manifestait sous diverses formes.

La prise de conscience des avocats sur la nécessité d’aligner la profession d’avocat en Afrique en général en Afrique Centrale sur les standards internationaux en la matière peut être située au début des années 1980.

Face à la multiplication des procès politiques ou la présence des avocats était timide, et la parole bridée par un serment anachronique, les avocats africains, sous l’impulsion, entre autres, de Maître Jean Martin Mbemba, vont se regrouper pour porter le combat devant affranchir la profession d’avocat de la tutelle des pouvoirs publics.

Lors des travaux préparatoires du congrès de l’Union des Avocats d’Afrique Centrale (UNAAC), la commission “problèmes professionnels" présidée par Maître Brudey relevait justement, qu'il était paradoxal que le procureur général soit en même temps le Bâtonnier de l’ordre. En effet, ce dernier n’étant pas avocat, et dans la mesure où son rôle en tant que Bâtonnier était de défendre les avocats, ses confrères, il n’était pas à même d’appréhender les problèmes des avocats. 

Les règles de la profession d’avocat étaient en effet particulières et la déontologie de la profession spécifique. Le procureur général, pouvait difficilement dans la dualité de ses attributions antinomiques, et par sa connaissance limitée des règles de la profession et de ses problèmes, assumer pleinement la défense des intérêts d’un ordre dont il n’était pas le chef naturel, choisi par ses pairs.

“Cette structure coloniale mise en place par le colonisateur pour garantir la pérennité du système colonial n’était plus viable à l’heure des indépendances. Dès lors, il devenait indispensable de mettre en place une structure nouvelle pour l’organisation de la profession d’avocat : les barreaux.

4.- La loi 026/92 portant organisation de la profession d’avocat ou le passage de la soumission à l’indépendance 

Dans le système hérité de la colonisation, l’avocat était un officier ministériel dont la nomination dépendait du ministre de la justice et la discipline de son bras armé, le Parquet Général. Dans son serment, il faisait allégeance au politique en jurant de « de ne rien dire ou publier, comme défenseur au conseil (...) à la sûreté de l’État et à la paix publique, et de ne jamais m’écarter du respect (...) aux autorités publiques »[12].

Dans le contexte des bouleversements socio‑politiques post‑indépendance, où la justice était employée comme outil de nettoyage du champ politique par la neutralisation des adversaires et même de toute opinion divergente, ce statut qui rattachait l’avocat à l’exécutif dans un rapport de soumission devenait un handicap qui l’empêchait de jouer son rôle de vigies des libertés et du respect des droits de l’homme.

Cette relation tutélaire qui confinait à la fonctionnarisation explique la discrétion des avocats locaux lors des procès politiques des années soixante‑dix. La commission “problèmes professionnels” du comité préparatoire du congrès de l’UNAAC avait dressé à ce sujet un état des lieux préoccupant qui reposait sur deux constats : l’inadaptation du statut de l’avocat au regard de la nouvelle donne des indépendances et des standards internationaux de la profession d’une part, et la faiblesse des structures professionnelles d’avocats existantes d’autre part.

Selon la commission, ce statut relevait d’une hérésie fondamentale, car un avocat ne pouvait être soumis à une hiérarchie, autre que celle de son barreau, l’essence même de cette profession étant la liberté.

Bien qu’universellement admise dans son principe, l’exigence d’indépendance de l’avocat est concrètement définie de manière très différente par les diverses législations nationales. 

Lorsqu’elle est conçue avec le plus de rigueur, l’exigence d’indépendance interdit à l’Avocat non seulement d’exercer sa profession au service d’un employeur, mais lui prohibe également toute activité parallèle salariée.

La règle générale reste cependant que toute activité salariée est incompatible avec la profession d’Avocat, tout comme les occupations de nature à porter atteinte à l’indépendance, à la dignité de l’Avocat, au caractère libéral de la profession, avec tout emploi à gage et toute activité de négoce.

Sans cette substantifique moelle, qui est la liberté, c’est tout simplement la négation de la profession, la mort de l’Avocat et la non‑protection des droits élémentaires des individus et des peuples, qui est organisée au bénéfice d’une minorité et au détriment du plus grand nombre.

Bien entendu, il peut y avoir plusieurs formes plus ou moins voilées de mainmise, indépendamment de la fonctionnarisation pure et simple. On a vu que la liberté en fait n’était qu’une apparence, qui cachait la réalité. Ainsi, toutes les formes de structures qui font dépendre l’Avocat de l’autorité politique dans leur profession, était à exclure.

La commission “problèmes professionnels” a donc recommandé la mise en place de structures adéquates et une évolution du statut de l’Avocat qui passait par la rupture du cordon ombilical qui liait le corps des avocats à l’exécutif.

La nouvelle profession d'avocat devait être libérale et indépendante.

La charte européenne des [13]avocats retient par exemple au sujet de l’indépendance que pour assurer efficacement la défense et le conseil de son client “L’Avocat doit être libre, politiquement, économiquement et intellectuellement, dans l’exercice de sa mission de conseil et de représentant du client. Ceci signifie que l’avocat doit être indépendant de l’État et des sources de pouvoir comme des puissances économiques. Il ne doit pas compromettre son indépendance à la suite d’une pression indue d’associés commerciaux. 

L’avocat doit aussi rester indépendant par rapport à son client s’il doit jouir de la confiance des tiers, des cours et des tribunaux. En effet, sans l’indépendance vis‑à‑vis du client, il ne peut y avoir de garantie de qualité du travail de l’avocat. 

Le statut de membre d’une profession libérale et l’autorité découlant de ce statut aident à maintenir l’indépendance, et les barreaux doivent jouer un rôle important dans la sauvegarde de l’indépendance des avocats. L’autorégulation de la profession est vitale pour maintenir l’indépendance de l’avocat. Il est notoire que dans les sociétés non libres, les avocats sont empêchés d’assurer la défense de leurs clients et peuvent connaître l’emprisonnement ou la mort dans l’exercice de leur profession. 

Autrement dit, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, ne pouvait donc avoir une quelconque influence sur la profession d’avocat à quelque niveau que ce soit, son autorité naturelle devant s'exercer sur les magistrats dont il est l’autorité de tutelle naturelle.

La profession devait être indépendante de la puissance publique, autonome, autogérée, autodisciplinée. Dans cette optique, la profession devait par conséquent être autonome, c’est‑à‑dire que toute la vie et l’organisation de la profession d'avocat devait être réglée de l’intérieur et non pas de l’extérieur. L'autonomie et l’autogestion devaient devenir les deux fers de lance de la profession.

Le projet de création des barreaux comme réponse à la nécessité de doter la profession de structure propre à assurer son organisation et sa protection procédait de cette réflexion. 

Comme moyen pour y parvenir, la commission préconisait le lobbying, avec l’appui de l’Union Interafricaine des Avocats, notamment en direction de l’organisation de l’Unité Africaine, pour obtenir la mise en place d’un instrument régional  imposant pour la profession des standards harmonisés opposables aux États membres.

Finalement, c'est à l’occasion du bouillonnement institutionnel consécutif à la conférence nationale souveraine que les avocats congolais vont trouver une fenêtre favorable pour faire aboutir localement cette réforme. Il faut dire que les avocats étaient dignement représentés dans les institutions de la transition pour veiller à la consécration de ce projet. Maître Martin Mbemba, Secrétaire Général de l’UNAAC sera tour à tour, Président de la commission de rédaction du règlement intérieur de la conférence nationale puis Ministre du travail dans le gouvernement de transition qui promulguera la loi 026‑92 du 20 août 1992 portant organisation de la profession d’avocat au Congo.

Il est très significatif de l'âpreté de cette bataille de noter que ce texte n’a jamais été promulgué par le Président Sassou Nguesso, ni par le Président élu Pascal Lissouba. En effet, la conférence nationale souveraine avait installé une véritable cohabitation à la tête de l'État. D’un côté le Président de la République et de l’autre le gouvernement de transition et le conseil supérieur de la République issus de la conférence nationale. 

Pour éviter le blocage des textes par le Président de la République au moment de leur entrée en vigueur, l’acte fondamental avait prévu en son article 36 que « le président de la République promulguait les lois votées par le Conseil supérieur de la République dans les quinze jours qui suivaient leur transmission au gouvernement. Passé ce délai, les lois devenaient immédiatement exécutoires ». 

La loi 026‑92 du 20 août 1992 a donc été publiée sous ce régime dérogatoire de l’article 36, c'est‑à‑dire sans l’imprimatur du chef de l’État.

La loi est entrée en vigueur quelques jours seulement après le transfert du pouvoir au Président élu Pascal Lissouba, le 31 août 1992. Jusqu’au bout, les avocats auront poussé ce texte jusqu’aux ultimes heures de la transition. Tous les autres textes contemporains sur l’organisation judiciaire vont incidemment bénéficier de cet élan.

Le nouveau texte précise en préambule dans ses deux premiers articles que d’une part, il est institué un ordre national des avocats ainsi que des Barreaux auprès des Cours d'appel, et que d’autre part, la profession d'avocat est libérale et indépendante. 

Le cordon ombilical entre l’exécutif et la profession était enfin rompu, marquant ainsi la naissance de la nouvelle profession d’avocat au Congo. 

L’architecture de cette loi prévoit une gouvernance paritaire centralisée de la profession à travers l’ordre national, autour duquel s'articulent des relais locaux d’autorité auprès de chaque cour d’appel, les barreaux. Pour constituer un barreau auprès d’une cour d’appel, il faut un minimum de 6 avocats inscrits devant ladite cour. A ce jour seuls deux barreaux ont été constitués auprès des cours d’appels de Brazzaville et Pointe‑Noire, faute d’avoir pu réunir le nombre d’avocats requis devant les autres cours d’appels.

L’ordre national des avocats est présidé par un Bâtonnier national élu par l’assemblée générale des avocats du pays tandis que les barreaux sont dirigés par des Bâtonniers locaux également élus par l’assemblée générale des avocats de chaque barreau. 

L’ordre national des avocats a des attributions administratives et juridictionnelles.

En principe, l'organisation et les règles de fonctionnement concernant les offices ministériels et les professions libérales sont du domaine de la loi. Mais en ce qui concerne la profession d’avocat, le législateur a concédé à l’ordre national le pouvoir d’élaborer le règlement intérieur de la profession qui fait office de décret d’application de la loi. A ce titre, c’est l'ordre qui détermine les aspects pratiques de l’exercice de la profession. 

L’ordre gère désormais souverainement l’accès à la profession dans mesure où il statue sur les demandes d’inscription au tableau et sur la liste du stage, et c’est le Bâtonnier qui ordonne l’inscription sur la liste du stage ou au tableau. Il statue également sur l’octroi de l’honorariat et sur les omissions du tableau.

L’ordre est également chargé de l'élévation et du maintien du niveau des avocats par la formation des stagiaires et des avocats. Elle exerce cette attribution à travers ses relais locaux que sont les barreaux.

L’ordre veille également sur le respect des exigences éthiques et déontologiques par les avocats. Et, au besoin, elle dispose d’un pouvoir juridictionnel pour sanctionner les comportements déviants susceptibles de porter atteinte à l’honorabilité de l’ensemble de la corporation. Ce pouvoir est exercé en premier instance par les barreaux et l'ordre intervient comme juridiction du second degré.

Les attributions de l’ordre et des barreaux ne sont pas concurrentes mais complémentaires. L’ordre est l’organe de direction qui conçoit les règles professionnelles tandis que les barreaux sont des organes d’exécution qui veillent à leur bonne exécution.

L’ordre national a été dirigé à l’origine par le Bâtonnier Bob Dia Massamba. Il a ensuite été remplacé par Maître Jean Petro qui a occupé la fonction une dizaine d'années de 1995 à 2007. 

Le Barreau de Brazzaville a eu pour premier Bâtonnier Bob Dia Massamba, suivi par le Bâtonnier Ekaba Okoko. Le barreau de Pointe‑Noire a été dirigé à ses débuts par le Bâtonnier Alexis Vincent Gomes.

La loi N°026‑92 du 20 août 1992 va franchir les 30 ans cette année. Il s’agit d’un acquis que les jeunes générations doivent s’approprier pour mieux le défendre et le parfaire car toute œuvre humaine est perfectible. Et pour cela, rien ne vaut un regard dans le rétroviseur pour mieux mesurer le chemin parcouru et celui restant à parcourir.


[1]« Justice indigène et vie congolaise ». Thèse de doctorat 3ème cycle p.354 Antoine Aïssi. Octobre 1978

[2] Réponse du ministre des Colonies à une question du député Alide Delmont : Question : pour quelles raisons les textes qui réglementent l’exercice de la justice indigènes en Afrique équatoriale française, n’autorise pas les prévenus à se faire assister, s’il le désire, d’un avocat défenseur devant les juridictions indigènes du premier comme du second degré ?

Réponse : L’état embryonnaire du barreau de l’Afrique équatoriale française, concentrer presque exclusivement à Brazzaville, la dispersion des tribunaux indigènes du premier et deuxième degré sur l’énorme territoire de l’Afrique équatoriale française, et parfois leurs difficultés d’accès, sont les principales raisons qui rendent matériellement impossible l’assistance du prévenu devant les juridictions par des avocats défenseur, sous peine de paralyser l’appareil judiciaire (...).

[3] L’affaire Gaud et Toqué. Jules Saintoyant l'affaire du Congo 1905.

[4] L’intégration des avocats africains sous la colonisation : https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2004-1-page-209.htm?contenu=resume

[5] JOAEF 15/01/1935

[6] Entre 1953 et 1959, les 21 avocats qui ont prêté serment devant la Cour d’appel de Brazzaville étaient tous sans exception des expatriés. Commission Ad hoc pour l’organisation du Barreau de Brazzaville.1992

[7] A titre d’exemple, le Barreau du Sénégal fut créé 3 septembre 1960, la profession d'avocat devient alors la première profession libérale organisée en forme statutaire. Le Barreau du Sénégal a été créé, par ordonnance, 14 jours après la proclamation de l'indépendance, intervenue dans la nuit du 19 au 20 août 1960, et quatre jours avant la formation du premier gouvernement.

[8]JORC du 1er février 1967

[9] Recueil Dalloz,1964, p.657- 658

[10] JORC du 18 août 1968, Décret n°68‑210 du 6 août 1968 portant nomination du gouvernement.

[11] Commission préparatoire congrès UNAAC « Problèmes professionnels »

[12] Article 7 arrêté du 8 août 1933 supra

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